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15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 06:18
Elles sont longtemps restées des silhouettes craintives arpentant les boulevards de l'est de Paris. Aujourd'hui, les prostituées chinoises sortent de l'ombre alors qu'un projet de loi renforçant la lutte contre la prostitution est en débat au Parlement français.

Sur le boulevard de Belleville, elles déambulent tous les jours, en jupes courtes, shorts, ou pantalons moulants; d'autres parlent entre elles, adossées aux immeubles ou dans le renfoncement de vitrines.
Celles que l'on appelle "les marcheuses" sont "de plus en plus nombreuses", estime Médecins du monde, qui suit plusieurs centaines d'entre elles. L'ONG les rencontre chaque semaine dans un bus itinérant présent sur leurs lieux de prostitution.
Agées en moyenne de 40 à 50 ans, la plupart sont d'anciennes ouvrières du nord-est de la Chine, arrivées en France à la suite de fermetures d'usines massives.
Comme Ahua, 45 ans, elles ont commencé par de petits boulots de nounous ou de femmes de ménage, dans la communauté chinoise déjà installée en France. Mais beaucoup se sont retrouvées exploitées, avec des salaires dérisoires ne permettant pas de survivre, d'envoyer de l'argent à leur famille en Chine, ni de rembourser les passeurs qui leur ont procuré visa et faux papiers.
Après avoir appris que d'autres femmes dans la même situation précaire vendaient leurs charmes, Ahua a franchi le pas. "On est toutes des mères, on a des enfants, on vient ici pour gagner de l'argent et avoir une meilleure situation".
Ajie, 42 ans, cheveux courts, acquiesce. Mais comme les autres, elle n'a pas eu le courage d'avouer sa situation à sa famille. "On n'ose pas en parler, ils pensent qu'on a un autre métier".
Toutes deux militent au sein des Roses d'acier, un collectif de prostituées chinoises récemment constitué. L'objectif: "défendre nos droits et être solidaires entre nous", explique la présidente, Ajing, grande femme mince en short et baskets roses.
"On veut dire les difficultés et la vulnérabilité des travailleuses du sexe chinoises en France", dit-elle. "En tant qu'étrangères, beaucoup n'ont pas de papiers et ne peuvent pas travailler, sans compter qu'on ne parle pas la langue. Nos conditions de travail, de logement, sont difficiles".
Si elles affirment ne pas être sous le joug d'un homme ou d'un réseau, elles sont souvent victimes de proxénétisme hôtelier, car ceux qui leur louent des appartements - eux-mêmes issus de la communauté chinoise -, leur font payer des loyers exorbitants, qu'elles partagent à plusieurs.
Leur principal problème? Le "harcèlement" policier, une multitude de contrôles et des arrestations pour racolage "même quand on n'a pas racolé", dénoncent-elles. "On vit comme des rats. La prostitution n'est pas interdite en France, mais on est discriminées", résume Ajie.
"Comme on a peur de la police, si on est agressé par un client, on n'ose pas porter plainte", ajoute Ajing.
Toutes ont été victimes d'agressions, commises par des clients qui exigent, après la passe, de récupérer leur argent, ou qui refusent de payer et les violent.
Elles sont également confrontées à l'hostilité de la communauté chinoise, qui "considère qu'on est des éléments dangereux, qu'on représente une saleté", explique Ajing. "Les gens nous insultent, nous crachent dessus", raconte Ahua.
Depuis peu, elles déplorent de nouvelles pressions policières. "Ils sont présents tous les jours, nous contrôlent plusieurs fois, déchirent les titres de séjour de celles qui en ont. On a peur, on ne gagne plus d'argent", se désole Ajing.
Pour continuer à exercer, certaines se tournent vers internet, en passant par des intermédiaires, qui prennent une commission au passage. Une autre forme de proxénétisme, déplore Médecins du monde.
Toutes voudraient voir enfin abroger le délit de racolage, comme le prévoit une proposition de loi adoptée vendredi par les députés, qui doit être à nouveau soumise au Sénat. Mais elles craignent tout autant la pénalisation des clients, prévue par le même texte. "Si on n'a plus de clients, on ne pourra plus manger", conclut Ahua.

Les députés français ont à nouveau voté vendredi pour la pénalisation des clients de prostituées, dans le cadre d'un projet de loi renforçant la lutte contre la prostitution que le gouvernement socialiste espère voir adopter rapidement.

Coïncidence de calendrier, ce vote en deuxième lecture est intervenu au moment même où la justice relaxait l'ancien patron du FMI, Dominique Strauss Kahn, d'accusations de proxénétisme pour sa participation à des parties fines en présence de prostituées en France et aux Etats-Unis.
Le texte adopté prévoit de punir d'une amende de 1.500 euros l'achat d'actes sexuels. Il comporte diverses mesures visant à renforcer la lutte contre le proxénétisme et à favoriser les aides à sortir de la prostitution.
Il supprime également le délit de racolage passif, institué en 2003 à l'initiative de l'ancien président de droite Nicolas Sarkozy, à l'époque ministre de l'Intérieur. Ce délit était dénoncé par les associations d'aide aux prostituées.
La pénalisation des clients de prostituées avait déjà été votée par les députés il y a dix-huit mois, mais cette disposition avait ensuite été retoquée lors de l'examen du projet de loi par les sénateurs.
Le texte va désormais repartir au Sénat pour une seconde lecture. En cas de nouveau désaccord, le dernier mot reviendra à l'Assemblée nationale lors d'un ultime vote.
Au nom du gouvernement, la secrétaire d'Etat aux Droits des femmes, Pascale Boitard a émis l'espoir que la proposition de loi soit mise en oeuvre "rapidement" afin d'envoyer "un signal fort".
"La France a un rôle et une responsabilité (...) Soyons au rendez-vous de l'Histoire!", a-t-elle plaidé.
Si tous les pays européens punissent le proxénétisme, seuls quatre d'entre eux (Suède, Norvège, Islande, Royaume-Uni) disposent à ce jour de législations sanctionnant aussi les clients de prostituées.

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