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21 juin 2007 4 21 /06 /juin /2007 08:22
Les trois poètes qui suivent ont connu un même destin, puisqu'ils sont morts suicidés. Dans un pays où la vie était parfois impossible rien ne peut nous étonner. La semaine prochaine, je parlerai de ce grand pays d'Afrique australe. Je vous ai déjà présenté le Nigéria, puis l'Angola, la Namibie, la Zambie et le Congo-Brazzaville. Cette fois, je retourne encore une fois en Afrique australe où se passe des choses qui ne sont pas toujours forcément médiatisées. L'Afrique du Sud est un pays qui compte sur le continent africain. Comme on le verra tout prochainement. En attendant, voici ces trois poètes, tous jeunes, qui montrent bien l'image de cette Afrique d'hier et d'aujourd'hui.

ARTHUR  NORTJE,
est un jeune poète métis sud-africain. Il a mis fin à ses jours à l'âge de 28 ans ( à Oxford, en 1970). 
Ce poème est l'un de ses derniers, poignants.

Toutes les faims s'en vont.

Toutes les faims s'en vont
nous perdons trace de leurs dates:
les désirs se soulèvent comme des naissances,
et règnent pour un temps comme des potentats.

Je gis et j'écoute la pluie
des heures avant que l'aube pleine n'apporte
un autre jour et puis le soleil d'hiver
ici en ce pays où les rythmes s'épuisent.

Blafard au sommeil je m'arrache
devant le miroir j'ouvre des yeux bouffis de rêve:
je traîne ma corpulence flasque
parmi les tables de riches bibliothèques.

Le gras s'est durci dans la bouche,
ces mets délicats avaient un goût de cendre:
les lendemains d'une douce évasion
se terminaient en balivernes et béguins.

J'ai renoncé à ces plaisirs,
aux tournées de sherry, aux bras d'une fille de miel
le Drakensberg (une chaîne de montagnes sud-africaine dans la province du Natal)
le Drakensberg gît emmailloté dans les tenèbres,
la famine hante les femmes du Transvaal.

Ce qui pourrait me consoler
s'effondre en amertume.
Des pas allègres filent devant ma porte
tandis que je me remets de ces années gâchées.

La pluie s'apaise. Face contre terre
je gis, mes bras maigres croisés, à moitié conscient
de cette peau qui se tend sur son pelvis;
Posture noire et pathétique.


DENNIS  BRUTUS,
poète métis qui a consacré toute une partie de sa vie à lutter contre l'Apartheid dans le domaine des sports.
Arrêté et emprisonné, il croyait toujours à la reconciliation des peuples en Afrique du Sud.


Nous survivrons toujours...

Nous survivrons toujours quoiqu'il arrive
Et la tendresse aliénée ne se résorbe point.

Les phares inquisiteurs rongent 
Nos profils nus et désarmés ; 

Le Décalogue invisible du tabou fasciste
Suspend ses foudres sur nos têtes
Avant de sombrer demain dans le désastre;
Les bottes ébranlent la porte qui s'écaille.

Mais quoiqu'il arrive nous survivrons
Malgré la dépression, malgré la dépossession,
Malgré la perdition.

Les patrouilles se déploient sur le bitume obscur
Et sifflent vers nous leur menace,

Cruauté extrême, la terreur balafre la patrie entière
La vouant à l'horreur et à la détestation;
Voici déchirés notre soumission passionnée et nous-mêmes

Mais quoiqu'il arrive la tendresse subsiste.



INGRID  JONKER,
fille blanche d'un Afrikaner nationaliste, elle cherchait à donner un sens à sa vie. Poètesse, il dévoile toute sa douleur de vivre, sa beauté triste et sa sensibilité pleine de pudeur. Elle se suicide à 32 ans. Son poème date de 1966.


JE  SUIS  AVEC CEUX.


Je suis avec ceux qui 
insultent  le sexe
parce que la personne ne compte pas
avec ceux qui se saoûlent
 pour contrer les abîmes de la pensée
pour contrer cette illusion sur la vie
qui jadis était bonne était belle et avait un sens
pour contrer la fausseté des garden-party
pour contrer ce silence qui bat dans les tempes
avec ceux qui vieux et pauvres
contrent la fuite du temps et la mort atomique
et qui dans leur cabane comptent les dernières
mouchent sur le mur
avec ceux qui connaissent l'abrutissement de l'asile
et la débâcle des électrochocs
traversant leurs sens en délire
avec ceux qu'on a privés de leur coeur 
comme un feu rouge qui ne peut plus clignoter
avec les métis, les Africains dépossédés
avec ceux qui assassinent 
parce que chaque nouvelle mort confirme
le mensonge de la vie
Et s'il vous plaît oubliez
la justice elle n'existe pas
la fraternité est une tromperie
Et l'amour il n'a aucun droit.
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commentaires

M
Ne pas oublier Steve Biko, le poète sud-africain pour la paix !
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