« TANGO NEGRO, LES RACINES AFRICAINES DU TANGO »
Un film Documentaire de Dom Pedro
Interview exclusive :
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Votre film a pris plus de trois ans de tournage. Avez-vous rencontré des difficultés par sa réalisation, c'est-à-dire préparation, tournage, enquêtes avant le tournage ?
Oui, vous avez raison de le souligner ; de tous mes films, celui-ci est à part ! En premier lieu, de par sa thématique, bien sûr, mais aussi pour tout ce qu’il pouvait véhiculer, j’imagine. En fait, dans mon esprit, l’idée d’exploiter ce thème datait pratiquement des années 80. Evidemment confortée par la victoire du Cameroun contre l’Argentine, lors du match de la Coupe du Monde de football de 1990, en Italie, si ma mémoire est encore très intacte ! Dans certaines équipes latino-américaines, on voyait des joueurs Noirs, mais pas pour l’Argentine et aussi le Chili… Cela m’avait interpellé ! Même si je prenais à peine mes marques dans le monde du cinéma et de l’Audiovisuel, je n’étais pas complètement aguerri ; et je n’avais pas encore une grosse expérience, je me cherchais surtout. Bref, belle ambiance de tournage, même si ce film m’a vraiment épuisé ; mais il n’est m’a pas achevé… Heureusement, car le tournage a duré bien plus que 3 ans !
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Pourquoi ce choix du 'Tango' pour ce documentaire, que vous intitulez : "Tango Negro, les Racines Africaines du Tango" ?
C’est simple, je suis parti d’un fait simple. Comme vous savez, à force de lire on arrive naturellement à se poser des questions ; sur ceci ou sur cela. Certaines de ces questions sont plus ou moins pacifiques, mais d’autres sont parfois de nature à susciter une révolte intérieur, qui incite à creuser un peu plus le terrain. Un jour, j’étais tombé sur une phrase historique, qui disait ceci :« la meilleure façon de cacher quelque chose à un Noir, c’est de la mettre dans un livre. » Cette idée était en vogue, à l’époque où l’obscurantisme était de mise ; et, curieusement, tout le monde en était persuadé ! J’étais alors en train de faire un film sur la Rumba dite « congolaise, -je précise que, pour moi, il n’y a qu’une seule Rumba-, et, parallèlement, je cherchais déjà un thème sur lequel rebondir, sitôt la fin de ce que je faisais, à ce moment-là. Et mon penchant pour l’histoire avait fait que je n’eus aucun mal à trouver, à faire le choix. C’est ainsi que, ayant entrepris des recherches, d’abord sur le net, j’ai vite découvert que mes soupçons n’étaient pas si infondés que ça. C’était au moment où je venais de faire la connaissance d’Efuka Lontange, un danseur-chorégraphe « Rdécien » plus connu des Parisiens sous son pseudo de « Nono » ! Evidemment, les recherches de musiques devant faire partie du film sur la Rumba m’ont emmené à Andrée Navarro, compagne de Nono, qui affichait comme journaliste à RFI (Radio France Internationale). Et Andrée, qui était aussi peintre, avait des liens très étroits avec ceux qui évoluaient dans cet univers-là. C’était ainsi qu’elle connaissait Juan Carlos Caceres, un peintre, musicien et chercheur Argentin, dont la particularité était son acharnement pour la réintroduction du Tambour dans la musique de Tango. Fort de ses recherches de plus de 30 ans, l’homme devenait incontournable ; il faisait étalage de ses connaissances sur le sujet et menait une « campagne » acharnée à travers ses multiples conférences pour faire admettre la présence du Noir dans cette musique. En même temps, il faisait parfois aussi appel à des danseurs professionnels du Tango pour faire la démonstration de la manière dont les Noirs dansaient le Tango, à une époque déjà ancienne, bien avant la codification des pas de cette Danse. C’est donc Andrée et Nono qui avaient fait le lien entre le Professeur Caceres et moi ; et depuis, on ne s’est plus quittés. Comme un chrétien attendant le Messie, Juan Carlos fut emballé par le projet que je lui avais présenté. A partir de là, il m’a soutenu à 100% jusqu’à l’épilogue du film. D’ailleurs le titre du film « Tango Negro » est un titre emprunté à une de ses chansons que l’on entend dans le film. De son contact, j’ai énormément appris des choses ; non seulement sur l’histoire de son pays natal, mais aussi et surtout sur l’origine de cette musique. C’est la raison pour laquelle il est à la fois le guide et le personnage principal du film.
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Comment expliquez-vous ce succès du style de danse et musique Tango et surtout l'importance qu'a pris celui-ci en Argentine, d'abord, puis dans plusieurs pays de l'Amérique latine, voire en Europe (Espagne, France, etc...) ?
C’est vrai, sur le continent américain, chaque pays a son Tango ! Mais, en Argentine, c’est pratiquement une tradition ; le pays qui l’a élevé au plus haut niveau. Et de tous les pays, c’est sans nul doute l’Argentine qui en était devenu le berceau. En Europe, on le voit aussi, certains pays s’en approprient ; mais rien ne vaut, ou si peu, celui qui porte le « cachet français » ! D’ailleurs, c’est grâce à l’admission dans les cercles fermés de Paris que le Tango, par la suite, avait retrouvé ses galons, ses lettres de noblesse. Mais sans oublier que toutes les musiques du monde, qui récoltent un succès planétaire, commencent toujours par être dénigrées, boudées, ignorées ! De ce point de vue, le Tango n’avait pas fait exception à la règle. Et le fait d’avoir été pratiqué par des Noirs, n’avait pas non plus arrangé les choses. Puis, on sait que, dans Buenos Aires du 19ème ou du début du 20ème, le Tango était lié à la prostitution avec tous les éléments qui allaient avec... D’où la méfiance de la société bien-pensante de la Jet Set porteña (de Buenos Aires). Comme je l’ai dit, ci-haut, il a donc fallu attendre que cette expression artistique et musicale retrouve ses lettres de noblesse en Europe, principalement en France, pour que le Tango soit enfin admis et accepté par des familles d’une certaine société argentine. Mais, à ce moment-là, tout était déjà codifié : il se dansait dans des salons, se dansait en smoking, il n’était plus festif, etc… Dès lors, tout vestige assimilé au Noir était escamoté pour ne pas dire purement effacé de la société argentine. Puisque, le pays devenant entièrement blanche, la présence d’une trace Noire sur son sol devenait un tabou. Et pourtant, les uns et les autres célébraient, déjà sans jamais se poser des questions, des héros Noirs de l’histoire Argentine, et dont les statues sont disséminées dans presque tous les coins des villes ! Car eux aussi avaient défendu becs et ongles ce pays et étaient toujours en première ligne du front. C’était de la chair à canons !
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Quel message véhicule ce film ?
Non, je n’ai pas d’ambition particulière de véhiculer tel ou tel message. En fait, qui suis-je pour prétendre véhiculer un message, et en quelle direction ? Je crois que, pour moi, le seul message qui vaille doit s’appuyer sur l’Universalisme. Car, me concernant, lorsqu’on s’appuie sur une discipline comme l’Histoire, on ne peut que prôner la fraternité pour rechercher ce qui peut rapprocher les uns des autres plutôt que le contraire. Mettre le doit là où ça fait mal, chercher encore à creuser des fossés longtemps combattus ne ferait qu’aggraver des atermoiements dans le monde ! Mon ambition a toujours été à de contribuer dans la connaissance du monde. C’est ainsi que, à mon avis, l’une des pistes principales que peut suggérer ce film, et que j’essaye d’approfondir, c’est de prouver la présence noire dans le Tango, comme l’est dans pas mal de musiques latino-américaines. Pour l’Amérique du Nord, la question ne s’est jamais posée ; ou plutôt ne se pose plus, aucun problème, de même que dans les Caraïbes. Surtout que le Cuba fait partie intégrante de cette dernière aire géographique. Les Américains (Usa) ont nettement une longueur d’avance sur certains points, incontestablement en matière de cinéma et audiovisuelle ; Regardez la représentativité de leur société dans leurs films, téléfilms, séries, etc… Tout le monde peut incarner n’importe quel rôle et ainsi de suite. Et, en Amérique latine, même sans évoquer la présence physique et réelle des Noirs dans la région de la Rio del Plata, la habanera semble être l’une des trois composantes (Milonga, Candombé ou Candomblé). Ce sont les 3 piliers ou mamelles qui sont le socle de ce qui est devenu le Tango. Et pourtant, au fond de moi, une question me taraude encore l’esprit : « pourquoi le nom Tango ? » Je n’ai jusqu’à ce jour pas pu trouver une réponse qui me donne entièrement satisfaction. A suivre, donc…
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Plus précisément, comment s’était passée votre première rencontre avec ce peintre et musicien Argentin ?
Oui, notre première rencontre s’était déroulée normalement, le plus simplement du monde, comme des frères ! Puisque, par téléphone, on s’était déjà tout dit, bien avant de se rencontrer. On savait pourquoi il fallait se voir, se rencontrer… L’anecdote est que, un jour, alors que j’écoutais une station de Radio culturelle parisienne, j’avais entendu, tout à fait par hasard, Juan Carlos expliquer le sens de ses recherches sur le Tango. Et surtout qu’il insistait beaucoup sur le Royaume Kongo, exactement de la même façon, comme le clamait aussi, parfois, le Colombien Youri Buenaventura, lorsqu’il lui arrivait d’évoquer ses origines ancestrales et de ses inspirations musicales ; de même que, au cours de ses tournées, le chanteur Cubain- Bennie Moré-, ne s’en privait pas. A partir de là, je n’avais donc pas hésité à me garer sur le bas-côté et suivre ses explications jusqu’à la fin de l’émission. Dès cet instant précis, je savais que je trouvais enfin mon labyrinthe.
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Avez-vous encore d'autres projets ? Que sera le thème de votre prochain film ? Une fiction ou un documentaire ?
Et comment ! Oui, je suis un féru de l’Histoire, surtout ce qu’elle apporte aux hommes. Nous devons savoir que c’est grâce au passé, donc à l’Histoire, si nous arrivions à faire la part des choses, même si ce n’est pas toujours évident, à corriger certaines tares qui font que la vie soit ou devienne moins pénible, moins insupportable à gérer. C’est grâce à l’Histoire, si nous arrivions à éviter ce qui, par le passé, avait fait que le monde fût scindé en deux, jusqu’à former deux blocs infranchissables ! Que des familles entières, devenues ennemis jurés, s’encanaillent inhumainement sans aucune repartie ni retenue, etc… C’est aussi grâce à l’Histoire, qui n’est finalement pas à séparer de la Culture, car c’est le passé d’un peuple, si nous inculquions certaines de nos valeurs -forcément jugées bonnes- afin que notre progéniture ait un peu de décence. Oui, j’ai des projets, comme tout auteur, me dira-t-on ; certains déjà écrits, terminés, et n’attendent plus qu’un preneur, et d’autres en sont en passe de l’être. Mais, quoiqu’il en soit, fiction ou documentaire, tous mes projets s’inspirent toujours du passé qui nous permet de maîtriser le présent afin de mieux préparer le futur. L’avenir de nos enfants en dépend. Et ceci est un langage U n i v e r s e l !